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La bureaucratie du HCERES nuit gravement à la recherche française

Tribune des directrices et directeurs de structures de recherche

Alors que les sciences et les savoirs sont plus que jamais nécessaires pour faire face aux crises de notre temps, la recherche française est malmenée et menacée par l’intensification du nouveau management public. Après le renforcement de la logique compétitive et du financement par projet, entériné par la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, voici l’apparition de nouvelles procédures d’évaluation des activités de recherche, instaurées récemment par le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), qui ne font qu’amplifier ce phénomène délétère.

En mars dernier, la Cour des comptes rendait public un rapport d’une grande sévérité sur les activités menées par ce Haut conseil entre 2014 et 2020 : « Les rapports d’évaluation du Haut conseil ne jouissent pas, dans le milieu académique, d’une réputation à la hauteur de l’effort consenti. Menés sur la base de référentiels très normés et de procédures particulièrement longues, les travaux d’évaluations pèsent sur les établissements et plus encore, sur des unités de recherche déjà chargées en travaux non scientifiques. »

Que diraient les magistrats de la rue Cambon un an après l’arrivée de Thierry Coulhon à la tête du HCERES ? Ils constateraient certainement, à rebours de leurs recommandations, un alourdissement de la technostructure de cette autorité administrative indépendante, une complexification des procédures normatives et, en conséquence, l’accroissement mécanique de la charge de travail administratif, déjà phénoménale, demandée aux acteurs de la recherche.

Lors de sa prise de fonction en novembre 2020, le nouveau président du HCERES avait pourtant déclaré : « Il faut trouver un équilibre entre la simplicité, la légèreté de l’évaluation, et son efficacité. » En outre, le HCERES vient de signer la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (DORA), laquelle défend une évaluation qualitative, portant sur les contenus de la recherche, au détriment d’une approche quantitative recourant à des critères « scientométriques ».

Dans la pratique, le HCERES fait donc tout le contraire de ce qu’il défend publiquement. Sans aucune concertation avec le terrain et en toute opacité, il vient de mettre en place une usine à gaz aux antipodes des principes du texte de DORA. Le Haut conseil a décidé qu’il n’avait plus à évaluer les contenus scientifiques et les projets des laboratoires : il entend désormais uniquement procéder à un bilan « ex post », c’est-à-dire à une évaluation comptable suivant d’innombrables indicateurs (on n’en recense pas moins de 57 pour les structures de recherche).

Tandis que tous les personnels de la recherche font face à une dégradation croissante de leurs activités, le temps consacré à la recherche s’amenuise, accaparé par la recherche incessante de financements et la réponse à des appels à projets ultra-compétitifs déterminés par les buzzword du moment. Alors que les structures de recherche ne disposent souvent même plus du personnel suffisant pour effectuer les tâches administratives, voici que le HCERES rajoute, en pleine crise pandémique, une couche supplémentaire de procédures écrasantes et toujours plus déconnectées des réalités de terrain.

La Cour des comptes soulignait en outre que « les évaluations standardisées et uniformes, pour toutes les unités, offrent l’illusion d’un traitement égalitaire qui n’est pas satisfaisant. » Le HCERES a décidé, là aussi, de prendre le contre-pied de ces recommandations et de renforcer la standardisation des procédures.

Amateurisme total ou bureaucratie forcenée ? On peut s’interroger tant ces nouvelles procédures sont caricaturales : tableurs et questionnaires contraignants jusqu’à la bêtise ; montagnes de données administratives, gestionnaires et financières à compiler et à reformater entièrement alors qu’elles sont par ailleurs connues par les tutelles (la très grande majorité des informations demandées sont renseignées dans les logiciels de gestion, la plupart des opérations étant désormais totalement « dématérialisées ») ; mobilisation de panels réduits d’« experts », guidés par des vues plus technocratiques que scientifiques ; calendrier chaotique et désynchronisé par rapport à ceux des universités et des organismes de recherche (CNRS, Inserm, etc.). Bref, un gâchis d’énergie, de temps et de ressources dont la recherche française se passerait bien.

Pour nous, directrices et directeurs de structures de recherche, qui faisons vivre au quotidien des collectifs dans un environnement international complexe, le temps perdu, l’énergie dissipĂ©e et l’intelligence gaspillĂ©e dans toutes ces procĂ©dures inutiles sont devenus dramatiques. Nous appelons solennellement le HCERES et nos Ă©tablissements de tutelle Ă  une simplification drastique et immĂ©diate des procĂ©dures : abandon de rĂ©fĂ©rentiels bureaucratiques; Ă©laboration de formats plus adĂ©quats pour le rapport d’activitĂ©s, conjoignant en particulier projet scientifique initial, bilan effectif et nouveau projet ; rĂ©instauration des visites dans les locaux des laboratoires par des comitĂ©s co-construits par les structures de recherches et les instances nationales d’évaluation des chercheurs et des enseignants-chercheurs (CoNRS, CNU, CSS INSERM,…).

La bureaucratie du HCERES nuit gravement à la recherche française : sa nouvelle politique d’évaluation va se traduire par un épouvantable gaspillage de moyens humains, intellectuels et financiers. Cette bureaucratisation doit être corrigée sans délai pour que l’évaluation de la recherche soit véritablement utile aux acteurs de la recherche et au service des sciences et des savoirs.

ESTCA