Construire le réel, penser le contemporain

Ce thème repense la notion de rĂ©el dans le champ des Ă©tudes cinĂ©matographiques ainsi qu’Ă  l’intĂ©rieur d’une histoire rĂ©cente de la rĂ©alisation filmique. L’invention d’outils conceptuels directement issus de l’expĂ©rience des films nous semble nĂ©cessaire pour comprendre le contemporain dans lequel nous sommes immergĂ©s.

La nouvelle fabrique du réel

Par leurs objets mĂŞme, nos travaux questionnent les concepts fondamentaux de l’ontologie de l’image photographique (« rĂ©vĂ©lation », « ambiguĂŻtĂ© du rĂ©el », distinction entre « cinĂ©ma de l’image » et « cinĂ©ma de la rĂ©alitĂ© »…) ainsi que les diffĂ©rentes tâches qu’elle assigne au cinĂ©ma, comme l’exigence d’un supplĂ©ment de voir, une expĂ©rience complexe du temps, ou encore une phĂ©nomĂ©nologie de l’ordinaire. Cet examen vise Ă  rejouer ces catĂ©gories premières sur le terrain d’une histoire contemporaine des images, en interrogeant leur devenir dans la pratique comme dans la thĂ©orie du cinĂ©ma.

Comme « langue Ă©crite de la rĂ©alitĂ© », le cinĂ©ma sous-tend une relation poĂ©tique aux objets du rĂ©el Ă  mĂŞme de renouveler notre regard, comme une volontĂ© d’agir sur le rĂ©el. La fabrique du rĂ©el dĂ©signe aussi bien les oeuvres de crĂ©ation et de recherche – des documentaires de crĂ©ation aux diffĂ©rents genres de fiction en passant par le vidĂ©o-essai – que l’analyse de ces corpus dans leurs formes multiples et les discours qu’ils suscitent.

 Vers une géopolitique des images

Nos recherches s’attachent aussi Ă  cartographier les images comme autant d’états du monde, dans leurs enjeux idĂ©ologiques, culturels et esthĂ©tiques, du plus proche au plus lointain, des « tiers lieux » du territoire de la Seine-Saint Denis comme espaces d’expĂ©rimentation jusqu’aux cinĂ©mas du monde dans leurs rĂ©sonances avec l’actualitĂ© qui leur est propre : Chine, Maghreb, Afrique, AmĂ©rique latine, Moyen-Orient, jeune cinĂ©ma europĂ©en, pays de l’Est… Il s’agit de saisir les moyens par lesquels ces images nous permettent d’éprouver la rĂ©alitĂ© sociale, Ă©conomique et politique d’un territoire et la façon dont elles s’articulent avec d’autres formes d’expression ou avec d’autres disciplines (science politique, anthropologie, gĂ©ographie, etc.).

Le contexte national et international de ces dernières annĂ©es nous invite par ailleurs Ă  reconsidĂ©rer la question morale et juridique du droit Ă  l’image, en particulier au niveau de la reprĂ©sentation des victimes de l’Histoire dans l’archive audiovisuelle, le documentaire ou la fiction historique. Ă€ une Ă©poque oĂą une hyper-visibilitĂ© des Ă©vĂ©nements semble rĂ©gner, il faut Ă©tudier les conditions dans lesquelles les signes visuels et sonores de ce prĂ©sent nous arrivent, et comment en retour le cinĂ©ma les rĂ©utilise pour nous aider Ă  dĂ©terminer une Ă©thique du regard comme une politique des images.

Les écologies du cinéma

Un premier sens du mot « Ă©cologie » sert ainsi de vecteur Ă  l’étude des films de transition, c’est-Ă -dire associant crĂ©ation et engagement, du cinĂ©ma militant Ă  celui des « lucioles » (celui d’une rĂ©sistance inventive, non dogmatique). En rĂ©sulte plus globalement l’examen des rapports individuels et collectifs Ă  une extĂ©rioritĂ© sociale elle-mĂŞme en mouvement. Il s’agit Ă©galement d’envisager comment les films travaillent la relation entre cadre, montage et devenir du monde, Ă  travers l’étude du paysage, naturel ou urbain, imaginĂ© ou pas, et des interactions que nous pouvons avoir avec lui. Le cinĂ©ma se confronte ainsi au second sens du mot « Ă©cologie », celui qui renvoie aux bouleversements climatiques actuels, avec la nĂ©cessitĂ© pour les rĂ©alisateurs de documenter cette dernière.

L’Ă©cologie du cinĂ©ma est Ă©galement Ă  apprĂ©hender en un troisième sens, celui portant sur les milieux perceptifs et les types d’attention aux images qui en dĂ©coulent. De nouvelles expĂ©riences d’images s’émancipent de la salle obscure et modifient nos habitudes de perception (tĂ©lĂ©vision, jeu vidĂ©o, traces visuelles dissĂ©minĂ©es sur internet…), que les rĂ©alisateurs questionnent dans leurs films. Tout en mobilisant d’autres savoirs avec lesquels les Ă©tudes cinĂ©matographiques interfèrent (comme la philosophie ou les sciences cognitives), il convient de savoir comment le cinĂ©ma reste une boussole pour nous orienter dans ce vaste environnement d’images hĂ©tĂ©rogènes.