
Emanuele Quinz Design et Distraction
Dans un essai de 1972, Psychologie de l’espace, Abraham A. Moles et Elisabeth Rohmer proposent la définition d’un “nouveau design” qui étend son horizon des objets aux agencements de l’espace et du temps, et vise une “programmation des relations entre homme et environnement”.
Le principe de programmation, que le design applique aux dimensions physiques mais aussi sociales et politiques de l’espace et du temps, s’étend également à la “régulation scientifique d’atomes de comportement”. Dans cette perspective les déviations sont programmées, selon une “partition de chocs”, où des surprises “artistiques” prédisposées composent un contre-point à la rigidité des conduites fonctionnelles. Cet épisode méconnu de l’histoire du design et de l’architecture semble renvoyer à un délire cybernétique, où contrôle et distraction s’opposent comme les termes d’une équation, et où l’informatique devient l’instrument non seulement de l’analyse mais du design de la société : une utopie – ou dystopie ? – qui se diffuse entre les années 1960 et 1970, et dont les fantasmes semblent s’étendre jusqu’à aujourd’hui, à l’âge du tout numérique, des big data et des smart cities.
Emanuele Quinz est commissaire d’exposition. Maître de conférences à l’Université Paris 8 et enseignant-chercheur associé à l’EnsadLab, Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs, où il co-dirige le séminaire doctoral. Ses recherches explorent les convergences entre les disciplines dans les pratiques artistiques contemporaines : des arts plastiques à la musique, de la danse au design. Il est l’auteur de Le cercle invisible. Environnements, systèmes, dispositfs (Les presses du réel, 2017) et il a dirigé ou codirigé plusieurs ouvrages dont Strange Design (avec J. Dautrey, éditions it :, 2014), Esthétique des systèmes (Les presses du réel, 2015), Behavioral Objects I (avec S. Bianchini, Sternberg, 2016), Uchronia (avec F. Apertet et A. Vigier (les Gens d’Uterpan), Sternberg, 2017).
Organisé par Paul Sztulman & Dork Zabunyan.

Marc Cerisuelo : Chiasme chez Godard
Séminaire interuniversitaire sur la critique
« Il ne faut pas vivre pour manger mais manger pour vivre ». Qu’il le respecte ou non, chacun connaît l’adage et même la figure de style qui renverse (ou remet à l’endroit) les liens de causalité dans un énoncé : il s’agit du chiasme, ou réversion, ou encore antimétabole…Jean-Luc Godard en usa et (peut-être) en abusa dans le dialogue de ses films, dans ses cartons ou incrustations, voire dans l’agencement de ses plans ; mais surtout et avant tout dans ses textes critiques. Figure de la réinvention et de la contradiction, du retournement et de la « remise en place », le chiasme se révèle un instrument opératoire, un outil de la pensée en acte, une arme de la critique – la fondation du godardisme.
Je voudrais donner à lire certaines de ces saillies d’auteur, intéressantes pour et par elles-mêmes, mais aussi en les contextualisant. En « interne », comme on peut s’y attendre, c’est-à-dire en référence à l’époque, aux revues (les Cahiers du cinéma et Arts) et au sein même du discours critique, « mondain » ou « professionnel » ; mais aussi, et d’ailleurs en premier lieu, à l’intérieur de l’histoire de la figure, en rhétorique comme en philosophie – car la chiasme vient de loin et frappe toujours juste. Il appelle d’ailleurs à la modestie : ce ne sera pas une conférence juste, mais juste une conférence.
Marc Cerisuelo est professeur à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.

Séminaire interuniversitaire sur la critique

Séminaire Inter-universitaire sur la critique
Eric Rohmer’s Film Theory (1948-1953)
Conférence de Marco Grosoli (Habib Université)
Eric Rohmer’s Film Theory (1948-1953) : from ‘école Schérer’ to ‘Politique des auteurs’, qui vient d’être publié par Amsterdam University Press, est le premier de deux livres consacrés à une relecture radicale de la politique des auteurs, s’appuyant sur des centaines de textes (généralement pas très lus) écrits par les « jeunes turcs » principalement sur les Cahiers et sur Arts. Il se concentre notamment sur sa toute première phase, quand le groupe se forma autour d’Eric Rohmer, dont la conception du cinéma venait justement de se cristalliser (selon l’avis de Rohmer lui-même) vers 1950 tout en exerçant une influence capitale sur les autres jeunes critiques.
Cette conférence présentera le livre en abordant un de ses aspects en particulier, à savoir le rejet, de la part de Rohmer, de l’existentialisme sartrien qui l’avait marqué au début, pour adopter une perspective (surtout) kantienne. C’est autour de ce rejet que se formera l’« école Schérer » (comme la baptisa Pierre Kast), dont les premiers pas seront décrits pendant la conférence tout en traçant le contour de ce « big bang » à l’origine de l’« école Schérer » (et ensuite de la politique des auteurs elle-même) qu’on peut aussi appeler, de façon quelque peu énigmatique mais au demeurant très convenable, « l’achèvement de la caméra-stylo ».

Le changement de régime a-t-il eu lieu ? Expériences du temps depuis le cinéma hongrois (1985-1994)
avec Mario Adobati (Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)
Séance dans le cadre du séminaire de recherche en histoire et esthétique du cinéma « Régimes d’historicité dans le cinéma des années 1960 à nos jours : crises de temps, traces, (re)construction ».
Comment reconstituer un régime d’historicité à partir du cinéma ? Cette étude de cas proposera une réponse partielle à cette question, à l’aide d’un groupe d’œuvres hongroises produites autour du changement de régime (principalement les films de Tarr Béla, Fehér György, Janisch Attila, Szász János et Szabó Ildikó). L’accent sera mis sur la façon dont l’analyse de la poétique des films peut soutenir l’exploration des relations affectives au temps entretenues par la société artistique d’alors. Ces relations se déclineront autour de thématiques temporelles comme la nostalgie, le désenchantement, l’attente, le pessimisme, la passivité ou encore la résignation, témoins de la complexité des va-et-vient entre passé, présent et futur au sein d’une expérience complexe de crise du temps.
Mario Adobati (Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle) sera en discussion avec Sylvie Rollet (Professeure des universités Émérite en Études cinématographiques, Université de Poitiers, membre de l’IRCAV) et avec Damien Marguet (Université Paris 8) – sous réserve.